Lorsqu’un témoignage fait référence à un phénomène qui aurait évolué proche du sol, ou aurait été en contact avec celui-ci, il est impératif de mener une enquête sur le terrain, mais ce n’est pas chose facile. Cela nécessite une logistique importante, des procédures adaptées et une équipe entraînée. Une des premières tâches à effectuer consiste à préserver l’information; préserver les végétaux qui auraient subi un traumatisme afin d’en prélever des échantillons pour une analyse en laboratoire. Un balisage du terrain est nécessaire pour empêcher des visiteurs de piétiner les zones concernées. Outre la destruction des végétaux, de simples curieux risqueraient d’emmener avec eux de nombreux polluants sous leurs semelles de chaussures ou sur leurs vêtements; des molécules qui n’étaient pas présentes sur le terrain le jour de l’observation. Les intervenants risqueraient de prélever des échantillons pollués sans le savoir. Si les résultats d’analyse en laboratoire faisaient apparaitre ces polluants, un expert risquerait d’aboutir à de mauvaises conclusions. Quand les traumatismes sont visibles, par exemple sous forme de « marbrures » suite à un bombardement de micro-ondes, le travail de repérage et de balisage est relativement facile. Mais comment faire si ces altérations sont invisibles à l’œil nu ? Comment éviter de piétiner ces végétaux lors de l’approche de la trace par une équipe d’intervention ? Pour répondre à ces questions, nous proposons une méthode intéressante, basée sur l’imagerie de fluorescence.
Une histoire de pigments
Avant d’entrer dans les détails de cette méthode, il convient de s’intéresser tout d’abord aux différentes fonctions jouées par les plantes, à leur composition, et à ce qu’on appelle la « Photosynthèse ». La Photosynthèse est un mécanisme biochimique qui permet aux végétaux supérieurs de fabriquer eux-mêmes des hydrates de carbone (sucres et amidon) à partir de l’eau et de CO2 (dioxyde de carbone). Il en résulte une production de dioxygène O2. Cette réaction siège dans des organistes propres à la cellule chlophyllienne (les chloroplastes), et nécessite un apport d’énergie externe, sous forme de lumière.
De nombreuses protéines et autres molécules contribuent au mécanisme de photosynthèse. Parmi elles, existent les pigments photosynthétiques (Chlorophylle « a » et « b » entre autres). Ces molécules ont pour fonction de collecter de la lumière, comme le ferait une antenne, et de transporter des électrons. Chez les végétaux supérieurs, les proportions des différents pigments varient peu. Toutefois divers phénomènes traumatiques sont susceptibles de les bouleverser :
- Irradiation aux rayons Gamma (cf. rapport du Pr Bounias sur le cas de Trans-en-Provence en 19811).
- Champs électriques ou phénomènes électromagnétiques.
On comprend tout de suite l’intérêt de connaître l’état de l’équipement pigmentaire des végétaux proches de l’épicentre d’un phénomène inexpliqué.
Les conséquences d’un stress
Nous venons de voir que l’énergie lumineuse est captée et convertie pour être utilisée dans le processus de photosynthèse. Cependant, comme dans tout système énergétique, il existe un pourcentage de pertes. Dans notre cas, ces pertes se traduisent par un dégagement de chaleur, et une émission de fluorescence de la Chlorophylle.
Lorsque la plante subie un stress, qu’il y a perturbation de la photosynthèse, due par exemple à des carences en éléments nutritifs, les pertes augmentent et la conversion photochimique diminue. Si l’efficacité de la photosynthèse diminue, l’intensité de la fluorescence de la chlorophylle augmente. D’où l’intérêt de la mesurer…et de l’observer. On parle alors d’imagerie de fluorescence. Dans le cas où une plante subie un stress lent ou rapide, ou se trouve en manque de certains nutriments, la répartition et la concentration des pigments photosynthétiques peuvent s’en trouver modifiées : la photosynthèse est perturbée. La conséquence est une variation de l’intensité de la fluorescence, voie de dissipation de l’énergie lumineuse absorbée par les feuilles, reflet de l’état de la plante et de ses conditions de croissance. Une étude2 réalisée par « L’Institut d’Electronique du Solide et des Systèmes » sur des feuilles de vigne, montre que pour une feuille carencée, l’excitation avec une lumière d’une longueur d’onde de 532nm (vert) conduit à une augmentation du rapport F690/F740 (rouge, et rouge lointain). Ces longueurs d’onde correspondent à l’émission de la Chlorophylle « a »; les précédentes représentent les autres pigments de la plante.
Une diminution de l’efficacité photosynthétique, donc une diminution de la concentration en Chlorophylle, se traduit par une augmentation de la fluorescence, une augmentation du rapport F690/F740. Fait intéressant, suivant le type de carence, la répartition de l’intensité d’émission sur la surface des feuilles est différence. Il est donc possible de détecter la nature d’une carence, alors même que les symptômes sont invisibles à l’œil nu.
L’identification des carences par imagerie de fluorescence présente donc un grand intérêt par rapport aux outils de mesure ponctuels, telles que les pinces à feuille disponibles dans le commerce.
Comment ça marche ?
Une image de fond en lumière naturelle est prise avec une caméra CMOS. On émet ensuite un rayon de laser vert (532nm) pour susciter une fluorescence, et on prend une nouvelle image. Un traitement permet ensuite de faire la différence : Il ne reste plus que l’image de la fluorescence. Nommée L.I.F.E (Laser-Induced Fluorescence Emission), cette technique est également utilisée pour l’étude des colonies de microbes qui se trouvent dans les lacs de l’Antarctique3. « Cette technologie assure à la fois l’observation à distance et l’examen in situ à l’échelle du micromètre, sans détruire les systèmes vivants complexes ». Une détection non-destructive, qui ouvre de nouvelles opportunités pour les enquêteurs. Développer et monter un tel système d’acquisition sur le toit d’un véhicule tout terrain permettrait de cartographier le rayonnement fluorescent d’un site. Embarqué sur un hélicoptère ou un drone, il pourrait en fournir une « photographie » aérienne.
Les intervenants auraient une vision globale et immédiate de l’état des végétaux sur une grande parcelle de terrain, et pourraient localiser les zones affectées par le phénomène, mais aussi en définir l’épicentre. Le balisage serait possible, sans qu’aucun traumatisme végétal ne soit visible à l’œil nu. Au niveau des feuilles de chaque plant, il serait possible d’effectuer une pré-étude des diverses carences présentes avant l’envoi en laboratoire des échantillons. Une technique prometteuse, qui nous l’espérons sera un jour abordable par le milieu associatif, et qui fera partie des savoirs et savoirs faire que doit posséder au préalable un groupe d’enquêteurs indépendants pour pouvoir intervenir sur le terrain.
1 Suite aux conclusions de l’analyse du cas de Trans-en-Provence (1981) réalisée par Bounias, il apparaît que les végétaux à l’épicentre supposé du phénomène, et aux alentours, aient subi un stress pouvant être attribué à une exposition Micro-onde, caractérisé par un vieillissement précoce et une dégradation (oxydation) importante de la Chlorophylle. Cette oxydation consisterait en la perte du cation Magnésium de la molécule de Chlorophylle. Nous avons exposé une analyse de ce phénomène à un biologiste. Nous attendons confirmation de l’effet des micro-ondes sur le déplacement des cations Calcium, pouvant provoquer une carence en magnésium. Si cela s’avérait possible, alors une simple analyse foliaire pourrait nous le confirmer. Il y a près de trente ans deux chercheurs américains, Ross Adey et Carl Blackman, ont mis en évidence un effet particulier lié aux fréquences des champs électriques, magnétiques, et notamment de certains multiples de 8 hertz : elles provoqueraient une fuite d’ions calcium au niveau cellulaire(a). Le phénomène est également observé lorsque ces basses fréquences sont combinées à des radiofréquences ou à des micro-ondes(b).
- a. Blackman C et al. (1994) : Effect of electric and magnetic fields on the nervous system (Effet des champs électriques et magnétiques sur le système nerveux). In Isaacson RL, Jensen KF (eds), The Vulnerable Brain and Environmental Risk, Vol. 3, Toxins in Air and Water, Chapter 18. Plenum Press, New York, p. 341-355.
- b. Mauger JP (2004) L’ion calcium : facteur de la communication cellulaire. Formation permanente, centre scientifique d’Orsay, université Paris-Sud, INSERM, mercredi 28 avril 2004.
2 Imagerie de fluorescence – Institut d’Electronique de Solide et des Systèmes 3 Laser-Induced Fluorescence Emission (L.I.F.E). In situ Nondestructive Detection of Micriobial Life in the Ice Covers of Antarctic Lakes – Dr. Michael C. Storrie-Lombardi, et Dr. Birgit Sattler